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La vie dans le désert

Marrakech (1)

Marrakech, mars 2005,

Il n'y a pas de mystère. L'arrivée d'un blanc-bec issu d'une ex puissance coloniale est toujours une aubaine pour les chauffeurs de taxis. Avec ma valise à soufflet que je fais rouler sur le trottoir approximatif de l'aérogare, mes vêtements chauds, mon front dégoulinant de sueur sur lequel s'inscrit en lettres d'or le mot "pigeon" - dont on fait les meilleures pastillas -, j'ai déjà dépensé dix fois le prix et contribué déjà largement à la vie économique locale.

Je loge dans un club de vacances de la compagnie nationale d'electricité à 7km de la Médina, ce qui me vaut de prendre mon petit déjeûner au milieu de motards de la gendarmerie marocaine, en stage de perfectionnement – ne pas chercher à comprendre. La résidence est dans un grand ilôt de verdure. Au fond, il y a des oiseaux (des pigeons pour la pastilla), des faisans, des perruches dans des cages. Ma chambre est agréable. Le site est silencieux sauf quand mes voisins du dessus s'acharnent sur le lit ou quand les chats profitent de la pleine lune pour jouer une symphonie dont le principal défaut est de ne pas avoir de véritable fin.

Comme j'en ai l'habitude, je promène ma carcasse au gré des ruelles ou des avenues. Le quartier des hôtels est sinistre. Le béton sort de terre et remplace les jardins qui ont rendu cette ville célèbre. Les hôtels sont des forteresses avec patio et jardins intérieurs, des enclaves de riches avec leurs codes ridicules : le larbin en costume de son grand-père à l'entrée qui vous tient la porte,  le hall en marbre, la réceptionniste quadrilingue, la piscine couleur bleu lagon entourée de chaises longues,... J'adore entrer dans les hôtels pour me soulager la vessie dans des vécés aux murs couverts de zéliges. Dans les hall d'hôtels il y a toujours des gens avec des bagages qui attendent quelqu'un ou quelquechose. J'ai l'impression de partager leur intimité le temps d'un petit pipi.

Dehors, il y a l'inévitable cohorte de taxis. Les chauffeurs attendent patiemment la course pour l'aéroport qui va transformer leur journée en jackpot. Pour une Fiat Uno diesel (avec la 205, c'est la voiture qui consomme le moins), le chauffeur doit rapporter 150 DH au propriétaire en 12 heures. Il doit mettre du gasoil, et vivre avec le surplus, s'il y en a. Une voiture tourne avec deux chauffeurs 24h/24 pendant deux ans avant que le moteur ne lache (environ 250 000 à 300 000 km). Le chauffeur de nuit ne doit rapporter que 100 DH. On comprend qu'ils n'aiment pas les touristes près de leurs sous qui exigent de mettre en marche les compteurs. Dans la voiture, j'écoute la radio et cela me rappelle les chauffeurs de taxis de Yaoundé ou de Libreville dont les radios cassettes en panne n'avaient plus la fonction rembobinage et qui conduisaient avec la main gauche, la main droite occupée à faire tourner à vive allure leur cassette préférée à l'aide d'un crayon à papier. 

Je marche aussi beaucoup. Je dois faire attention aux trottoirs où les plaques d'égoût se dérobent parfois sous mes pas. J'arrive au centre artisanal, un concentré de la vie artisanale marocaine et surtout un florilège de mots gravés au dessus des portes que la langue française  a depuis longtemps oublié dans nos régions : dinandiers, feutriers, ferblantiers, boissier (?), … La langue a aussi son jargon  branché :"Chouf le look" dit la pub pour un shampoing…

Quand on se rapproche de la place Jamal El Fna, le monde humain se densifie : retraités français à moumoutes descendus de leur car Fram – un modèle de discrétion à la Française -, jeunes babas ostensiblement du nord de l'Europe reconnaisssables à leur coupe de cheveux, leur regard bleu et leur incapacité à aligner trois mots de français, italiennes volubiles et voluptueuses, espagnols placides, anglais anglais, mais aussi gamins véloces, vieillards éclopés, charmeurs de najas cabotins, vendeurs de jus d'orange,  porteurs d'eau croupissante en costume, diseuses de bonne aventure, tatoueuses au hénné. Un concentré de l'Europe repue et triste dans une grande marmite écumante de vie.

(à suivre)…

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