Donner, s'étonner

Il était une fois un vieil homme très pauvre qui vivait dans une petite maison en haut d’une montagne (par exemple). On disait qu’il avait une grande sagesse et comme il n’était pas avare de conseils, les gens venaient de très loin pour le consulter. Un jour le roi vint le voir et lui posa une question :

— Vieillard, dis-moi quel est le secret du bonheur. Je suis malheureux comme une pierre. Pourtant j’ai tout ce dont on peut rêver, une Bentley avec four à micro-onde, une ferme avec des poneys, un lit de deux mètres sur deux, tout tout tout , mais je ne m’intéresse à rien, je ne sais rien faire de mes dix doigts. Vieillard, aide-moi à trouver le bonheur et je te rendrai riche.

Le vieillard lui répondit :

— Ah mais non, mon bon roi, ça ne marche pas comme ça. Vous n’y arriverez jamais de cette manière. Pour être heureux, il faut faire trois choses, et je ne suis pas sûr que vous en soyez capable, sauf votre respect mon bon roi.

Puis il inspira longuement, ce qui eut pour effet de faire monter la tension dramatique du conte.

— Vous devez d’abord donner tout ce que vous avez. Tout. Vous m’entendez bien, mon bon roi. Ne rien garder.

Le roi ne dit mot. Il prit des notes sur sa tablette en or massif. On le sentait contrarié.

— La deuxième chose à faire, c’est de s’étonner. Les gens de s’étonnent plus. Étonnez-vous, mon bon roi. Vous verrez, vous retrouverez progressivement le goût de vivre, qui est au bonheur, ce que la pâte feuilletée est à la tarte aux pommes.

Le concept de l’étonnement lui étant aussi étranger que celui du don, le roi continua de faire semblant de prendre des notes.

— La troisième et dernière chose à faire …

Le vieillard observa un silence insupportable d’un demi-ton.

— C’est de repeindre ses volets.

Le roi lui jeta un regard interrogateur qui voulait dire « repeindre quoi ? » ou quelque chose d’approchant (on ne sait jamais bien ce qui se passe dans la tête d’un roi).

— Oui, vous m’avez bien compris. Vous prenez un pinceau, un pot de peinture de la couleur que vous voulez et vous repeignez vos volets. Attention, hein, mon bon roi, vous le faites vous-même ! Une sous-couche, certes, mais pas de sous-traitant !

Le roi rentra songeur en son palais. Il ne fit évidemment rien de ce que lui avait conseillé le vieillard. Il resta riche, malheureux, complètement blasé de tout et vécut très vieux.

Moralité (célèbre proverbe dont le sens premier a été perdu)

Donner, s’étonner, repeindre ses volets