Steve

05/04/2007 23:21

C'était le début de l'automne. Steve avait la carrure et le flegme du surfeur australien, mais il avait délaissé provisoirement le surf pour passer l'été dans le Nord du Queensland. Il vivait depuis près de trois mois sur Heron Island, dans la station de recherche de l'Université où il terminait son année de Master en éthologie appliquée. Il devait observer le comportement des gros poissons prédateurs qui peuplent la Grande Barrière de Corail pendant toute une saison. Steve passait le plus clair de son temps sous l'eau, en limite de coraux, là où les rouleaux du Pacifique forment une écume permanente et où une intense vie animale profite de l'oxygène et de la profusion de nourriture.
En ce début du mois d'avril, Steve avait repéré un requin-tigre, un des prédateurs les plus redoutés, dans une position plutôt inhabituelle. Le poisson était sur le dos, immobile, et son ventre blanc se reflétait dans le miroir du ciel. Excellent plongeur, capable de tenir trois minutes en apnée dynamique sans émettre la moindre bulle d'air, Steve s'approcha doucement en se laissant dériver, comme un corps flottant et inerte, jusqu'à presque toucher le requin. Celui-ci sentit sa présence et fit une rotation sur lui-même, lui présentant ainsi sa nageoire dorsale. C'était le moment. D'une main ferme, Steve empoigna l'aileron vigoureusement. Le requin fit un bond et donna des coups de queue d'une violence terrible pour se débarrasser de l'intrus. Steve s'agrippa avec une énergie peu commune et parcourut ainsi plusieurs mètres, mais projeté avec force contre les bords coupants du récif de corail, il dût lâcher prise. Le requin s'était enfui, mais il allait revenir. Steve remonta avec difficulté dans son petit canot. Il avait une énorme balafre dans le dos, son corps était couvert de plaies et ses mains étaient en charpie. Avant de s'évanouir, il sortit son agenda de la poche du sac, et écrivit d'une main tremblante à la date du 1er avril: "requin-tigre déteste farce du bonhomme d'avril".