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La vie dans le désert

Bastia

Jeudi soir, Bastia

Elle est debout, un peu saoule et provocante, sur la terrasse du bar et fume une cigarette. Il se lève et la pousse avec violence, la pourchasse dans la rue. Elle a cinquante ans et elle est humiliée devant trente paire d'yeux. Lorsqu'il l'a suffisamment éloignée de son champ de vision, il revient rejoindre son groupe d'amis. Il est très élégant. Sa colère est froide. Il est livide. On ne soupçonne pas autant de violence. Tout le monde se connaît à la terrasse du bar et personne n'a levé les yeux. Les conversations reprennent. Elle s'est réfugiée dans sa voiture et je la vois pleurer. Une femme lui apporte des cigarettes, s'assoit à côté d'elle et tente de la consoler. Puis la voiture démarre et s'éloigne. Je suis resté accroché à ma petite cuiller. La scène a été très rapide. Tout le monde sur la terrasse semblait savoir de quoi il retournait. Sauf moi.
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K
Je reviens de Bastia, j'y étais jeudi soir..........peut être !bizzzzkickoff
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G
Raté, je n'y suis plus :o(
O
C'est vrai. Des fois, tout le monde est au courant sauf nous ! Il m'est arrivé un peu la même chose :Il est 17 h 30, et j’attends avec Florent dans la salle d’impatience du médecin, pour un simple rappel de vaccination, lorsque, soudain, nous entendons - venant de l’extérieur et tombant avec la nuit - des voix dont les intonations laissent à penser qu’elles ont des points de vue divergents. ¾  Pourquoi tu veux pas ? disait la première,¾  Fous-moi la paix répondait la seconde.¾  Tu vas pas en mourir reprenait la première.¾  Si, je vais en mourir insistait la seconde.¾ Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Tu rentres pas ? enchaînait la première. Ces voix étaient si proches que nous ne doutions pas découvrir sous peu leurs propriétaires. Toutefois, elles s’éloignèrent provisoirement. Peu de temps après, un gros monsieur pénétra dans la salle d’attente. Un très gros monsieur. Une baleine quoi. Une barrique ventripotente et impotente, pleine de Kronenbourg. Quand il se déplaçait, on avait l’impression d’entendre les clapotis de la bière dans son estomac distendu. Une tête était posée sur ce tonneau, comme tombée là par hasard. Petite, la tête. Disproportionnée et boutonneuse. Ses yeux exorbités, perdus au milieu de la graisse bourgeonnante, se posèrent sur nous. Nous aurions préféré que ce regard glauque s’ébroue ailleurs. Dans un moment d’inattention, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il aille faire ses besoins plus loin. Puis je me ressaisis et ne lui donnai guère plus de soixante ans. C’est tout ce qu’il obtiendrait de moi. Je replongeai dans ma lecture en faisant mine de ne pas entendre le soufflet de forge qui tenait lieu de poumons à ce pachyderme. Sa respiration asthmatique emplissait l’espace et défiait quiconque dans un rayon de cinquante mètres de penser à autre chose qu’à une locomotive à vapeur. Il réussit à s’asseoir à une table adossée au mur et se mit à écrire. Je trouvai cela surprenant qu’un homme si gros puisse écrire. Peut-être en était-il fier, ce qui expliquait qu’il le fasse en public. Peut-être n’écrivait-il que lorsque des jobards de mon espèce étaient là pour s’en étonner. Peut-être, faisait-il « semblant ». Etant d’un naturel réservé, je n’ai pu vérifier. Ses bras étaient tout juste assez longs pour atteindre la feuille de papier posée sur le bord de la table, que son obésité tenait à bonne distance. Le crayon, mangé par une main sans appui, effleurait le papier par petits coups brefs et saccadés. En constatant que ce mastodonte ne portait pas de lunettes, je me dis que Dame Nature avait été bonne pour cet homme malgré toutes les disgrâces physiques dont elle l’avait affligé. La myopie l’eût définitivement privé de son plaisir d’écrivain. Puis entra un jeune homme qui, sans préambule, s’adressa à la cantonade pour savoir quelle était la prochaine personne à être reçue. Je l’identifiai immédiatement comme étant l’auteur de « Tu vas pas en mourir ». Bien que n’étant pas la cantonade, je lui fis savoir que j’étais cette prochaine personne. En m’assurant qu’il n’en aurait que pour deux minutes, il me demanda s’il pouvait passer avant moi. J’abhorre les resquilleurs. Je les ai en horreur. Je pense d’eux le plus grand mal. La violence et la grossièreté de mes pensées ne laissent pas de me surprendre, mais en homme bien élevé je ne m’en suis jamais ouvert auprès d’eux et les laisse resquiller comme bon leur semble. Aussi acquiesçai-je en précisant toutefois que je m’en remettrais à la décision du médecin. Cet assentiment de ma part fit réagir le bibendum qui leva sa plume, et émit quelques soupirs et borborygmes intraduisibles qui pouvaient passer pour une désapprobation de sa part. C’est alors que l’auteur de « Tu vas pas en mourir » emplit la pièce d’un flot d’injures d’une vulgarité outrancière, à un moment où l’on s’y attendait le moins, bien que nous nous trouvions dans une salle d’attente.Quoique n’en étant pas le destinataire, je trouvai cette avalanche de propos malveillants singulièrement mal adaptée à l’atmosphère du moment. Jusqu’ici, je pensais disposer, n’en déplaise à ma maman, d’un choix étendu d’invectives, calomnies et gros mots de tous genres, devant me permettre de faire face aux situations les plus avariées. Il s’agit naturellement d’une culture livresque qui dépasse largement mes besoins personnels. Je n’en fais usage que très parcimonieusement et en tous les cas à bon escient, comme tout honnête homme qui se respecte. Présomptueux que j’étais. Ce que j’entendais là n’était pas du « tout-venant » ni de l’injure ordinaire et passe-partout, mais de vigoureuses malédictions qui révélaient une connaissance approfondie de la victime, du genre « Va te laver le foie avec de l’O-Cédar ». Evidemment, je me suis empressé d’effacer ces blasphèmes de mon esprit. Face à cette attaque, le gros monsieur faillit avoir une attaque mais contre-attaqua. Son visage congestionné passa d’un beau rouge écarlate à d’autres nuances plus soutenues où se mêlaient le vermillon incandescent et le cramoisi enflammé. Ses furoncles mûrissaient à vue d’oeil. Naturellement, la qualité des propos se dégradait rapidement. Monsieur « Kronenbourg » :¾ J’vois pas pourquoi tu passerais avant les autres.Monsieur « Tu vas pas en mourir » :¾ Ne me tutoie pas, vieux chnoque. Monsieur « Kronenbourg » :¾ J’te connais bien. T’habites rue du Marais vert.Monsieur « Tu vas pas en mourir » :¾ J’te cause pas. Lâche moi la grappe, enculé.Monsieur « Kronenbourg » :¾ Si c’est pas malheureux de voir ça. On sait bien ce que tu viens faire ici.Monsieur « Tu vas pas en mourir » :¾ J’te dis d’pas m’tutoyer, gros sac. Ferme ta gueule. Chté pas causé.Monsieur « Kronenbourg » :¾ P’tit con. L’docteur va pas te donner de la drogue comme ça.Puis nous prenant à partie :¾ On sait c’qui fait. Après, il ira voir le docteur Krups et puis un autre, et encore un autre. Si c’est pas malheureux ! Je résolus immédiatement de ne pas prendre parti, préférant que les choses prissent un tour plus serein avant de m’en mêler. Je me composai rapidement un faciès de buse inexpressive. En fait, je ne changeai rien, j’étais parfait comme ça. D’ailleurs, sans qu’il me soit prêté la moindre attention, l’aimable dialogue se poursuivait. Monsieur « Tu vas pas en mourir » :¾ Chté pas causé, tas de merde. De quoi y se mêle ?Puis, comme pour faire sentir à l’outre rubiconde sa propre impolitesse, l’outrecuidant ajouta avec une courtoisie mal maîtrisée :¾ Vous z’avez rien à voir lad’dans.En s’ouvrant, la porte du cabinet mit un terme au premier acte de cette comédie de boulevard. Alors qu’elle se refermait, avec mon autorisation expresse, sur Monsieur « Tu vas pas en mourir », Mademoiselle « Fous-moi la paix » entrait dans la salle d’attente. On se serait cru dans une pièce de Feydeau. Cela paraît surréaliste, mais je suis déterminé à être absolument véridique en tout, dussé-je pour cela vous écrire un vaudeville. Mademoiselle « Fous-moi la paix » exprima son mécontentement envers Monsieur « Tu vas pas en mourir » en expliquant à Monsieur « Kronenbourg » que Monsieur « Tu vas pas en mourir » voulait à tout prix lui soutirer une cigarette alors qu’elle aurait préféré bouffer des lames de rasoir ou passer le meilleur d’elle-même dans un hachoir à viande plutôt que d’obtempérer. Monsieur « Kronenbourg » en prenant un air entendu :¾ Je l’connais bien. On sait c’qui vient chercher. Si c’est pas malheureux. Ché d’quoi j’parle, j’ai un de mes fils comme lui. Putain. Ah, la drogue ! Dans cette pièce, tout le monde connaissait tout le monde. Il n’y avait que nous qui ne connaissions personne. Nous n’étions que de simples spectateurs silencieux subissant un de ces spectacles de qualité discutable où les acteurs interpellent le public. On avait cru se rendre chez le docteur et on était tombé en pleine cour des miracles. Etait-ce une publicité déguisée pour le médecin ? En nous faisant entrer dans son cabinet, il nous assura qu’il n’en était rien. Cela faisait aussi partie des risques du métier. Il nous raconta la suite de ses déboires, le cambriolage de sa cave, le dépeçage de sa voiture, les menaces dont il faisait l’objet. Les crêpages de chignons et les esclandres dans son cabinet sont choses courantes, et il ne s’en mêle pas. Il n’y fait plus guère attention. Tout en énumérant les dures réalités de sa vie quotidienne, il exhibe un papier qu’il me tend. Il s’agit d’une demande de détention d’arme. Car il est bien décidé à vendre chèrement sa peau.
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G
Ton commentaire vaut de l'or. Et m' a bien fait rire. Quel sketch. Ah quand ça dérape, ça dérape... merci Oncle Dan et à la revoyure (recommenture ?)...
P
Oui mais toi, tu es un raconteur d'histoires, tu es donc tout à fait à même d'inventer.
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G
Elle est vraie. Ce soir, j'ai revu le couple au même bar. Tout était redevenu normal.