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La vie dans le désert

2155

Antoine n'était pas tranquille.
Il venait de trouver un papier chiffonné qu'on avait glissé sous la porte de sa chambre d'hôtel et où l'on avait inscrit : 2155.
Rien d'autre, juste 2155.
Le contact d'Antoine n'avait pas donné signe de vie et la journée entière passée dans ce petit hôtel de la citadelle commençait à lui peser. Dehors, le libeccio soufflait avec violence, faisant tomber les jardinières et envoler tout ce qui n'était pas solidement arrimé. De son balcon, il pouvait voir les bateaux du vieux port se tortiller au bout de leurs amarres. Lorsque la tempête faisait rage en Balagne, Bastia était souvent baigné d'une atmosphère laiteuse. Des nuages lourds, installé sur les reliefs du Cap, surplombaient la ville et diffusaient les rayons du soleil. Et puis d'un seul coup, sans qu'on comprenne vraiment pourquoi, le vent soufflait plus fort et chassait les nuages. Le ciel devenait d'un bleu profond, presque violet et le Libeccio s'engouffrait dans les ravines, suivant les lignes de plus grande pente et s'accélérait dans les rues de la ville. L'effet venturi était particulièrement fort au vieux port où il ne serai venu l'idée à personne de sortir sa barque ou son voilier.
Jean-Michel ne répondait pas et Antoine lui laissait régulièrement des messages pour l'informer de son arrivée à Bastia. Il avait passé la journée à démonter, huiler et remonter son Beretta, à fumer des cigarettes au balcon et à lire un roman de Jean-Claude Izzo. Il avait accepté ce contrat fort bien payé mais se sentait mal à l'aise à l'idée d'exercer son "métier" dans la ville où il avait grandi.
Les cloches de St Jean sonnaient en rafale. Le soleil déclinait lentement et éclairait les immeubles austères d'une lumière jaune. Antoine n'était pas serein: le silence de Jean-Michel, le message codé, et le vent qui siffle aux oreilles... Un bon tueur à gages doit avoir l'esprit tranquille.
Et puis, il avait faim.
Il rangea soigneusement son pistolet dans le double-fond de sa valise, s'habilla rapidement et sortit de sa chambre. Il n'y avait personne à la réception lorsqu'il quitta l'hôtel. Il marcha dans les rues silencieuses de la citadelle et longea les remparts. Au lieu de descendre vers le port, il obliqua vers la gauche et rejoignit le boulevard Paoli désert en ce jour d'Ascension. Des conteneurs renversés occupaient les trottoirs. Un volet claquait. Il poussa jusqu'à la place St Nicolas où quelques skaters profitaient du vent et du revêtement neuf pour glisser sans effort. Les tables et les chaises des restaurants étaient soigneusement empilées sur les terrasses. La mer était lisse et les moutons se formaient au loin. Antoine passa devant la Banque de France gardée par quelques CRS en faction, longea l'église St Jean et descendit au Vieux Port par les ruelles étroites. Il trouva une pizzeria ouverte et commanda un repas léger. Il demanda un annuaire et consulta ligne par ligne les pages de Bastia. Il téléphona à deux numéros se terminant par 2155 engageant des conversations aimables et brèves. Il appela les quelques gros hôtels du coin et demanda la chambre 2155, mais on lui rit au nez. Non. Décidément, il ne voyait pas comment exploiter cette information.
Il faisait presque nuit quand il sortit de la pizzeria. Il contourna le Vieux Port pour se rendre au bout du Quai Sud et gravit les marches de l'escalier monumental qui le conduisait à la citadelle le long du jardin Romieu. L'endroit était beau dans la journée mais sinistre à cette heure du jour. Antoine crut voir une ombre dans le jardin proche, mais il ne ralentit pas son pas et atteignit le boulevard qui le menait à la citadelle. Les rues étaient mal éclairées, en particulier celle où se trouvait son hôtel. Il eut quelques difficultés à distinguer le porche dans un renfoncement et n'arriva pas à rentrer sa clé dans la serrure. Il frappa d'abord quelques coups secs, puis un peu plus appuyés, et comme personne ne répondait, il se mit à tambouriner de plus en fort au fur et à mesure que la tension montait. Finalement, une lumière fut allumée puis une autre et Antoine entendit grommeler dans le couloir. Une vieille femme vêtue de noir lui ouvrit:
-Vous n'avez pas vu le mot ?
-Le mot...
-Oui. Au lieu de taper sur la porte comme un sourd, vous feriez mieux de taper le code. Vous vous croyez où ? Sur le continent ?










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M
Très bon texte. On s'attend à ce que les douilles tombent et c'est une panthère rose qui se casse le nez... J'aime beaucoup ces chutes "vertigineuses" et ce thème du casse-tête à solution bête et méchante. Comme quoi les mythes naissent souvent d'une grande banalité. A+
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