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La vie dans le désert

Lettre à mes collègues et amis vietnamiens

Hanoï, août 2015

 

Quand on arrive dans un pays qu'on ne connaît pas, on est comme devant une porte dont on n'a pas les clés. Le Vietnam ne fait pas exception. La porte vietnamienne est une porte ancienne en bois dur. Elle a été taillée dans la masse. Il y a quelques inscriptions que je ne peux déchiffrer. J'ai voulu l'ouvrir. J'ai cherché les clés pendant de nombreux mois et je ne les ai pas trouvées.

Pendant longtemps, je suis resté devant la porte, obsédé par cette porte. Les gens passaient dans la rue et me souriaient. Ils ne parlaient que le vietnamien et j'étais resté bloqué à la leçon 17 de la méthode Assimil. Un vieux monsieur en pyjama à rayures qui habitait à côté de la porte s'est adressé à moi et je n'ai rien compris. Je lui ai tout de même répondu quelque chose comme "Tôi khong hieu" avec mon meilleur accent français et il ne m'a pas compris et je me suis dit qu'il devait être un peu sourd. Il m'a tendu un siège en plastique bleu ciel, vous savez ces sièges destinés uniquement aux enfants et aux vietnamiens. J'ai dit "Xin cam on" et je lui ai redemandé un deuxième siège et je me suis assis sur les deux sièges. Le vieux monsieur s'est mis à fumer sa pipe à eau et m'en a proposé. J'ai dit non merci. Il m'a offert le thé et j'ai accepté. Le thé était amer dans la bouche mais laissait une impression de douceur quand on l'avait bu. On ne s'est pas dit beaucoup de choses, mais j'étais bien.

Mais le vieux monsieur en pyjama ne m'a pas donné les clés de la porte.

Ben n'est pas avec moi aujourd'hui et je le regrette beaucoup. Ben est une observatrice. Elle s'installe sur une petite chaise en plastique bleu (mais elle n'a pas besoin d'en mettre deux) et elle regarde. Elle sort son Nikon et elle shoote. Ben photographie ce que les autres ne voient pas. Puis elle me montre ses photos et je vois après coup ce que je n'avais pas vu.

Mais Ben n'a pas pour autant trouvé les clés de la porte.

Il fallait dormir quelque part. On a trouvé notre nid d'aigle posé sur les toits de Hanoi. On s'est fait aider par un maître de Feng Shui qui a voulu aussi nous expliquer où installer notre lit pour que ma femme accouche d'un garçon. Mais on lui a dit qu'il était venu trop tard et que nous étions satisfaits de nos trois filles.

Nous avons vu Hanoi au petit matin. Hanoi la nuit, le lac de l'Ouest,  la tour Lotte qui grignottait le ciel petit à petit, un morceau de pont Nhat Tân et puis le pont qui illumine la nuit et après la pluie, le monts de Tam Dao au Nord et de Ba Vi à l'ouest qui ressemblent à des îles dans la brume;

J'ai continué à chercher les clés de la porte, mais sans conviction. Et puis un jour, j'ai eu cette idée de faire quelques pas pour me dégourdir les jambes. J'ai longé le mur avec difficulté, car il y avait plein de vélomoteurs garés sur le trottoir. Je suis entré dans les maisons car les portes étaient ouvertes. J'ai bu du thé, beaucoup de thé et j'ai joué avec les enfants ou regardé la télé avec eux. Il y avait des fleurs et des bouteilles de bière et des bâtons d'encens éteints. D'autres fois, quelqu'un a sorti une bouteille de La Vie et des petits verres et on a bu un coup. Non, on a bu plusieurs coups. J'ai trouvé que l'eau minérale au Vietnam était la meilleure du monde. Plus tard, je suis allé au temple ou bien au Phu, ou bien à la pagode (rappelez moi la différence ?). Il y avait des gens qui mangeaient, d'autres qui nettoyaient leur moto, d'autres encore qui priaient avec un billet entre les mains. Je n'ai pas tout compris, mais partout j'étais le bienvenu.

Comme j'avais du temps libre en tant que Français avec mes 40 jours de vacances par an, je l'ai mis à profit pour mieux connaître le Viêt Nam. Avoir beaucoup de vacances est un grand privilège mais il y a des inconvénients: croyez moi, il est plus difficile de travailler en cachette de sa femme pendant ses vacances que de passer des journées de travail à faire semblant de travailler devant son patron. Comme le buffle tire la charrue et trace le sillon dans la terre, nous avons tracé notre route dans les montagnes du Nord, sur les plateaux du centre, au milieu des iles du delta du Mékong. Partout, les paysages n'existent que par les gens et partout les gens sont dans le paysage. Il nous reste des images et des sentiments. Et des photos.

Maintenant, je dois partir du Vietnam et mon cœur est triste. Je regrette de ne pas être, aujourd'hui, celui qui me remplacera. J'aimerais être à la fois celui qui découvre et celui qui connaît.

Maintenant, après trois ans et des poussières de la rue de Hanoï, j'en sais un peu plus.

Au Vietnam, pas besoin de clé. Ce sont les gens qui vous ouvrent les portes: les paysannes sous leur chapeau conique, les vendeuses de Bo Bia à vélo, les magiciens du pho bo ou du bun cha nem cua bê, les artistes du chè, les pêcheurs de carpes du Lac de l'Ouest, ceux qu'ils martèlent les gongs, cuisent les céramiques ou sèchent les bâtons d'encens, les instituteurs dans les montagnes, les policiers de la route dans leur petite voiture ridicule, les chercheurs dans les karaokés, et amis et collègues... Au Vietnam, il faut s'asseoir, il faut partager, il faut rire, il faut chanter, il faut accepter l'inconfort, il faut aimer le bruit, la couleur, le mouvement, la poésie, les fleurs dans les champs, les arbres enracinés dans les pagodes ou circulant sur des motos, il faut savoir parler des saisons pendant des heures, il faut aimer ses parents, ses ancêtres, sa patrie et bien entendu ses amis sur facebook.

Il faut être fier de ses enfants, avoir foi en leur avenir. Et surtout, il faut s'aimer soi par dessus tout pour être capable de tant donner aux autres.

 

Merci chers amis et collègues de m'avoir accepté comme je suis, de m'avoir ouvert votre porte. J'ai beaucoup appris à votre contact mais si j'étais resté, j'aurai encore eu beaucoup beaucoup de travail avant de devenir vietnamien. Je vais donc prendre des vacances au Cambodge.

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Z
Un dernier bun cha avant ton depart? :)
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G
:)
G
Tu m'as fait pleurer, c'est malin. C'est vraiment un beau texte.
Répondre
G
C'était pas le but, mais peut être es-tu sensible ?
C
je pense qu'au Cambodge tu te sentiras vietnamien :-)
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G
Oui, pour un moment je crois. Je suis Bob l'éponge.